Une hypothèse a suffi à empourprer tout un arrondissement. Le plus grand de Paris. Pas un riverain du XVI e qui ne rage contre cette « aberration » : le déclassement historique de l'avenue Foch, l'une des artères les plus prestigieuses au monde, pour y construire des logements sociaux, un centre commercial, des équipements et une « coulée verte » sur 550 000 m 2 . Sur l'avenue Foch, qui fait 1,3 km de long sur 140 m de large, mais aussi au-delà de la porte Dauphine, le long des 2,4 km qui mènent jusqu'à la porte d'Auteuil dans le bois de Boulogne, lui aussi classé site naturel aux Monuments historiques.
Un projet né de vieilles amitiés socialistes entre son initiateur, Marc Rozenblat, et son cabinet d'architectes Hamonic + Masson & Associés, avec le député PS de la 9 e circonscription de Paris, Jean-Marie Le Guen, qui déjà en 2011 projetait une OPA foncière sur le XVI e pour y sanctuariser la « mixité sociale ». Le projet des architectes en serait resté à l'état d'émulsion créative si Anne Hidalgo, candidate PS à la mairie de Paris, n'avait pas décidé de le monter en mayonnaise en le portant officiellement comme un projet de campagne électorale, phare urbanistique de sa mandature si elle était élue. Jeudi matin, sur l'avenue Foch, elle a convié les médias pour préciser son adhésion au projet. « C'est un endroit magnifique qu'il faut rendre à l'espace public, à l'espace démocratique , a-t-elle dit de concert avec les architectes présents. Il faut que le XVI e arrondissement prenne sa part de mixité sociale dans Paris. Cela se fera dans le respect des règles, des marchés publics, du dialogue, de la démocratie. C'est une très belle intuition que de prolonger le bois de Boulogne pour le faire venir dans la ville. J'ai toujours eu à coeur de raccrocher la ville du XXI e siècle à l'histoire. »
« Le Notre-Dame-des-Landes de Paris »
Vent debout depuis l'annonce il y a une semaine, des riverains et l'association Mieux vivre ensemble dans le quartier Dauphine (MVEQD) sont venus l'accueillir fraîchement, tracts et banderoles à l'appui, imprimés durant la nuit. « Les habitants ne se laisseront pas faire », promettent-ils avec l'appui de leur maire, Claude Goasguen. L'avenue Foch compte des hôtels particuliers, des appartements de prestige, de nombreuses ambassades ainsi que le logement personnel de personnalités protégées, comme l'ambassadeur d'Israël en France. Pas un public habitué à battre le pavé pour défendre son pré carré. Pourtant, le quartier se soulève comme un seul homme, augurant une fronde « dure et déterminée », prévient un résident. Riverains, commerçants, associations, élus, écologistes... Foch sera « le Notre-Dame-des-Landes de Paris », prophétise Agnès Popelin, présidente du collectif Auteuil les Princes et porte-parole de France Environnement Ile-de-France.
Si le projet et les déclarations d'Anne Hidalgo - qui « joue une énième fois la carte caricaturale du clivage bourgeois-ouvrier » - sont pris comme une « provocation » par les habitants du XVI e , ceux-ci sont bien décidés à ne pas « tomber dans le panneau ». Les habitants de l'arrondissement ne sont pas dupes des sirènes électoralistes et des « manoeuvres politiciennes de bas étage », dit Marc Servel de Cosmi, président de l'Association de sauvegarde Auteuil-Bois de Boulogne. « Les collets-montés du XVI e sont peut-être fans du tir au pigeon, mais ce ne sont pas des perdreaux de l'année », ironise Christine, une habitante. Aussi le « combat » ne sera-t-il « pas idéologique », souligne Agnès Popelin : « Il y a déjà des logements sociaux, ce n'est pas le problème, nous ne sommes pas contre, c'est le saccage patrimonial et environnemental que nous dénonçons . »
« Un Luna Park »
L'avenue Foch et le bois de Boulogne sont des sites naturels classés aux Monuments historiques, de manière indissociable depuis 1957, qui plus est en zone de protection renforcée pour le bois, comme le confirme la Drac Île-de-France. Un décret impérial de 1852 a même établi la servitude juridique perpétuelle de promenade publique qui grève les bois parisiens de « promenade des Parisiens ». De 6 000 à 10 000 logements sont prévus par le projet sur cette zone, entre la porte Dauphine et la porte d'Auteuil. Les concepteurs, eux, mettent en avant « la coulée verte » du programme. Il s'agit pourtant moins de « piétonnisation » que d'urbanisation, si l'on en juge par les chiffres de la construction foncière : sur les 550 000 m 2 , seuls 67 000 sont dévolus à l'aménagement d'un parc. Le reste ira aux immeubles, structures, terrasses paysagères, équipements et dessertes, comme le « hub », sorte de rond-point piéton servant de passerelle au-dessus de la porte Dauphine entre la célèbre artère et le bois. La densification à Paris est déjà telle que « certains quartiers égalent Mexico ! », se plaignent les écologistes. Le XVI e , lui, compte 30 000 habitants par kilomètre carré. Anne Hidalgo veut « bétonner le vert », accuse Yann Wehrling, ancien secrétaire national des Verts devenu membre de l'équipe de Nathalie Kosciusko-Morizet, candidate UMP à la mairie de Paris, qui, elle, préfère « verdir le béton ». La candidate de droite a parlé de « projet contre-nature qui consiste à déclasser l'existant plutôt que de relever les défis urbains en travaillant les espaces délaissés ».
Les riverains s'érigent encore contre « le Luna Park d'Anne Hidalgo » qui « défigure » le paysage et la qualité de vie. « Les socialistes ne sont pas des bâtisseurs, mais des artisans démolisseurs », dit Pierre, un trentenaire qui habite la rue Duret, voisine de l'avenue Foch. « Une lubie , selon Fanny, qui ne répond en rien aux besoins des riverains », axés sur « des problèmes de propreté et de sécurité, avec la prostitution et les cambriolages ». Marc, lui, se demande si « quartier résidentiel est devenu un gros mot » dans la « novlangue » socialiste. « Qu'ont-ils avec cette obsession de dynamiser ce qui reste de quartiers calmes, que les gens ont choisis précisément pour ça ? » interroge-t-il.
Cette partie du XVI e qui vit déjà des aménagements urbains polémiques, comme l'extension de Roland-Garros sur le bois de Boulogne, l'installation du musée LVMH ou l'agrandissement du quartier des grands parcs sportifs (stade Jean-Bouin, Parc des Princes...), décrie depuis longtemps le manque de concertation avec les associations et les riverains. « C'est caractéristique dans cet arrondissement , explique une militante écolo du quartier. Au contraire de Bordeaux ou Lyon, la convention d'Aarhus(accord international qui vise à informer et favoriser la participation du public à la prise de décisions en matière d'environnement, NDLR) n'est jamais respectée. »
Dévalorisation foncière
D'autres préfèrent conjurer ce projet par l'ironie. Agnès Popelin s'étonne par exemple que Jean-Marie Le Guen, qui a présenté les architectes à Anne Hidalgo, veuille installer autant de logements sociaux dans « l'arrondissement le plus pollué de Paris », l'élu étant « qui plus est » médecin de métier et spécialiste des questions de santé publique. Le périphérique - emprunté par 1,3 million de véhicules par jour - et l'accès tout proche à l'autoroute font en effet enregistrer de forts taux de pollution aux capteurs d'Airparif installés à Auteuil. En 2012, ils ont relevé la plus forte concentration moyenne annuelle en dioxyde d'azote et oxydes d'azote et enregistré 136 jours de dépassement du seuil maximal d'exposition - qui est de 35 jours - aux particules fines.
Côté immobilier, le projet de l'avenue Foch fait également réagir les professionnels. « Cette avenue est principalement habitée par des clients internationaux qui sont venus pour son image glamour et historique , explique Charles-Marie Jottras, président depuis 30 ans du cabinet immobilier de prestige Daniel Féau. Ils n'ont pas acheté là pour avoir un centre commercial, du bruit, une vue entravée par des constructions ou pour trouver de la mixité sociale. » Quant à une dévalorisation foncière, « si elle est difficile à estimer , reprend-il, il y a aura nécessairement un impact défavorable ». Et élargi à tout le quartier, « car, en réduisant les voies des voitures aux contre-allées, il faudra déporter la circulation aux alentours ».
Si le projet devait se réaliser, de nombreuses embûches, notamment juridiques, se dresseraient sur la route d'Anne Hidalgo. Le déclassement des sites, dépendant à la fois des ministères de l'Environnement et de la Culture, s'ajouterait à la modification du PLU (plan local d'urbanisme). Pour un élu parisien défenseur du patrimoine, le risque est « la fragilisation de tous les PLU et de toute la législation sur les sites classés , dit-il. Cela entraînerait une jurisprudence dangereuse et serait contraire à la loi Alur-Duflot... » Pour l'heure, les habitants du XVI e restent « très vigilants », prêts à entamer « les procédures judiciaires adéquates ». Quoi qu'il advienne, ils promettent de mener la vie dure à Anne Hidalgo sur ce dossier.