La Convention d'Aarhus sur "l'accès à l'information, la participation du public au processus décisionnel et l'accès à la justice en matière d'environnement" serait-elle applicable au nucléaire ? La réflexion ouverte avec le processus Aarhus Convention and Nuclear (ACN) s'est achevé ce 13 mars 2013 à la Commission européenne (CE) au Luxembourg. Elle y a démarré 3 ans auparavant, par une table-ronde organisée, comme les suivantes, en partenariat avec la Direction générale de l'énergie de la CE (DG-ENR) et avec l'appui financier de la Commission, de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) et de l'Institut de Radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN).
Ouvrir un espace de dialogue à la société civile
L'initiative ACN revient à l'ANCCLI, l'association française qui fédère les comités et commissions locales d'information (CLI), ces groupes pluralistes chargés du suivi du fonctionnement des installations nucléaires. Echaudée en 2006 par la difficulté à participer aux débats publics sur la gestion des déchets radioactifs et l'EPR de Flamanville, cette association, soucieuse de mener à bien son autre mission qu'est l'information des publics "pro" et "anti" nucléaire, initia la création d'un groupe "Transparence" au Forum européen de l'énergie nucléaire (ENEF). Mais dès la première édition de ce forum, fin 2007, Greenpeace claque la porte. Soucieuse de ne pas vider ENEF de sa substance "société civile", l'ANCCLI décide d'y rester et s'entiche de créer un espace européen de dialogue sur la participation du public dans le secteur du nucléaire.
Contribuer à la mise en œuvre concrète de la convention d'Aarhus...
Contribuer à une troisième version de recommandations pour une mise en œuvre pratique de la convention d'Aarhus était l'un des enjeux soumis le 12 mars 2013, jour de la commémoration de la catastrophe de Fukushima, à la centaine de participants venus d'au moins 15 pays de l'Union Européenne (UE) et de 6 pays membres de la Commission économique européenne des Nations Unies (CEE-NU). La quasi-absence de représentants de l'industrie nucléaire suscita l'agacement de certaines ONG présentes en nombre : "Refusent-ils de nous parler ? ".
Sans besoin de le formuler, le modèle français des CLIS est recommandé : "Créer des comités pluralistes ouverts à ceux qui veulent aller de l'avant, y compris à ceux sans titre ou représentation particulière". Une recommandation majeure vise à "appliquer la convention d'Aarhus à l'extension de la durée de vie des centrales nucléaires" et donc d'élargir le champ des activités concernées par la convention à l'extension des installations existantes. Le prêt (600 M€) accordé par l'UE le 12 mars et visant à améliorer la sûreté de 13 des 15 réacteurs d'Ukraine fut évoqué comme un soutien au programme national d'extension de 20 ans et plus de la durée de vie des réacteurs restés en activité après la catastrophe de Tchernobyl. "La ligne d'incidents est exponentielle à la durée de vie !", prévient Jan Cappelle, expert en énergie nucléaire de Greenpeace Europe.
… tout en veillant au respect de la Convention d'Espoo
La référence à la Convention d'Espoo de la CEE-NU relative à "l'évaluation de l'impact sur l'environnement dans un contexte transfrontière" fut récurrente. La difficulté d'accéder aux dossiers d'évaluation d'impacts sur l'environnement d'un projet nucléaire et l'insuffisance de leur contenu informatif figurent comme une limite à la participation effective du public au processus décisionnel. La Biélorussie illustre avec paroxysme ce constat : la construction de deux réacteurs démarrée sans autorisation ni précision du concept de réacteur envisagé ; à Ostrovet's Kaia, l'une des rares parties du pays épargnée par la catastrophe de Tchernobyl ; et la prison pour ceux qui réclament la transparence. Ce constat concerne aussi le projet de stockage géologique de déchets nucléaires de la Slovaquie, en frontière de la République Tchèque.
Dans ce contexte, une recommandation à la mise en œuvre de la convention d'Aarhus est d'intégrer dans tout dossier d'évaluation d'impacts sur l'environnement d'un projet nucléaire "le scénario zéro" - ie l'éventualité de ne pas réaliser le projet -, "l'accident majeur" et "l'ampleur des dégâts éventuels". "En France, la participation du public dans la prise de décision se traduit par les procédures d'enquête et de débats publics, dont les recommandations de la société civile mériteraient plus de reconnaissance, explique Michel Demet, Conseiller technique de l'ANCCLI. Mais si un accident nucléaire majeur se produit, rien n'est prévu dans ce sens !".
La nécessaire vigilance citoyenne ne sait faire oublier celle des Etats
"Quel que soit l'avenir du nucléaire dans les Etats-membres, la vigilance sur la sûreté nucléaire demeure un enjeu important pour l'avenir de l'Europe", souligne l'ANCCLI. Elle soutient l'idée selon laquelle cette vigilance repose sur la participation des citoyens, rejointe par l'IRSN en la personne de son directeur général Jacques Repussard. Greenpeace Europe en appel quant à lui à la responsabilité des Etats : "En Hongrie, il y a le projet Paks 2 (des réacteurs en sus sur le site de l'unique centrale du pays qui en compte 4). Je vous en supplie, motivez vos ministres de l'Environnement et demandez leur d'y participer !". Actuellement, seule l'Autriche - pays non nucléaire - s'est engagé à en expertiser le dossier d'évaluation d'impacts sur l'environnement. En tant que pays frontalier ? Pas seulement : l'initiative ACN met à jour son implication au-delà de ses propres frontières.
L'ACN se termine. Et après ?
Brigitte Artmann, porte-parole des Grünen allemands annonce son intention d'organiser une table-ronde ACN nationale, faisant suite aux sept autres déjà organisées dans un pays nucléarisé : France, Belgique, Bulgarie, Slovénie, Hongrie, Ukraine et Roumanie. Pour poursuivre le processus européen, une recommandation suggère la création d'une "task-force" au sein même du secrétariat de la convention d'Aarhus. Tandis que l'Eurodéputée Michèle Rivasi se fait le relais d'un appel à soutien d'un nouveau forum de dialogue dénommé "Nuclear Transparency Watch". Un "observatoire de la transparence à Bruxelles qui puisse convertir les requêtes de terrain et les transmettre à la Direction générale de l'Environnement de la Commission européenne" ou un "centre sur la connaissance en matière de nucléaire au sein de la DG-ENR" . La question reste ouverte à 5 mois de l'échéance obligeant les Etats membres à transposer la Directive sur la gestion des déchets nucléaires, qui mentionne la "transparence ", dont les objectifs et les valeurs restent à définir. Ce à quoi le forum ENEF apportera sa contribution, pas encore l'ACN.