Après Seveso I en 1982 puis Seveso II en 1996, voici Seveso III cette année. Adoptée le 14 juin dernier par le Parlement européen conformément à la décision du Conseil des ministres en charge de l’Environnement au sein de l’Union européenne intervenue le 27 mars dernier, la troisième version de cette célèbre directive communautaire (elle vise les risques industriels majeurs dans tous les États membres) se propose de renforcer notablement les obligations des entreprises manipulant des produits chimiques dangereux.
Date d’entrée en vigueur du nouveau texte : le 1er juin 2015. “D’ici là, a indiqué Cédric Bourillet, sous-directeur des risques accidentels à la Direction générale de la prévention des risques du ministère de l’Écologie, lors d’une conférence d’information organisée le 29 mai au Palais des Congrès à Paris à destination des organisations professionnelles concernées, les industriels peuvent compter sur l’appui des pouvoirs publics pour se préparer à cette échéance et procéder aux changements réclamés dans les meilleures conditions.” Pour lui, cette coopération est d’autant plus nécessaire que la France est aujourd’hui déjà – en raison sans doute du traumatisme qu’a suscité chez nous le terrible accident de l’usine AZF de Toulouse le 21 septembre 2001 – l’un des pays européens les plus respectueux des exigences communautaires en la matière.
Une prise de conscience tardive
L’histoire déjà longue des directives dites Seveso commence le 10 juillet 1976 dans la petite commune du nord de l’Italie qui porte ce nom. Ce jour-là, un nuage de dioxine, un gaz dont les composants sont alors à peine identifiés et la toxicité mal connue, émanant de l’usine Givaudan implantée localement, est rejeté accidentellement dans la nature. Il ne fera heureusement aucune victime humaine grave : seuls quelques enfants souffriront d’acné léger. L’accident attire cependant l’attention des médias du monde entier et suscite immédiatement une grande émotion dans l’Europe tout entière.
En effet, quelques jours après l’accident, dans toute la zone touchée par le nuage, les feuilles des arbres se mettent à jaunir et plus de 3 000 animaux domestiques meurent. Dix ans après la catastrophe de Feyzin, dans la banlieue lyonnaise, où l’incendie d’une raffinerie de la société pétrolière Elf a entraîné la mort de 18 personnes et détruit plus d’un millier d’habitations, la Commission de Bruxelles prend réellement conscience des dangers que présentent les activités industrielles chimiques en milieu urbain et elle propose aux États membres de l’Union de se doter d’une politique commune en matière de prévention et de gestion des risques industriels majeurs.
C’est ainsi que le 24 juin 1982, une directive communautaire, qu’on appellera la directive Seveso, demande aux États membres d’identifier les risques associés à un certain nombre d’activités industrielles réputées dangereuses et de prévoir les mesures indispensables pour y faire face en cas de nécessité. Modifiée à plusieurs reprises, et notamment à la suite de l’accident de Bâle le 31 octobre 1986, où les masses d’eau déversées dans le Rhin à la suite de l’incendie d’un hangar des établissements Sandoz ont entraîné une forte pollution du fleuve, cette première directive Seveso a finalement donné lieu à la publication le 9 décembre 1996 d’une nouvelle directive, dite Seveso II, qui renforce encore les obligations des industriels en leur imposant la mise en place d’un système de gestion de la sécurité proportionné aux risques inhérents à chacune de leurs installations.
Transposé en droit français par l’arrêté du 10 mai 2000, ce texte distingue ainsi deux catégories d’établissements selon les propriétés et les quantités de substances manipulées dans l’entreprise : les établissements dits “Seveso seuil bas”, et les établissements “Seveso seuil haut” ou encore Seveso AS (c’est-à-dire Seveso avec servitude) dont les obligations en matière de prévention des risques sont très différentes. Si tous les chefs d’entreprises concernés – seuil bas ou seuil haut – sont tenus de réaliser des études de danger destinées à identifier tous les scénarios possibles d’accident, à en évaluer les conséquences éventuelles et à mettre en place des moyens de prévention adéquats, les dirigeants des établissements à haut risque ont, eux, l’obligation de prévoir également des plans d’urgence, interne et externe, permettant de faire face aux conséquences d’un éventuel accident. Autres obligations : les industriels doivent examiner les conséquences d’un éventuel accident sur les installations voisines afin de réduire les risques d’“effet domino” en cas de catastrophe. Dans la même optique, ils sont contraints d’associer le personnel de l’entreprise et les riverains de leur établissement à l’élaboration de l’ensemble des documents relatifs à la prévention et à la gestion des accidents.
Plus de 1 200 établissements Seveso en France
Quant à l’État, il est tout naturellement chargé de veiller à la stricte application de la directive sur l’ensemble du territoire français. C’est-à-dire de recenser les établissements à risques (on en comptait précisément 1 233 en France au 31 décembre 2010, dont 606 seuil haut et 527 seuil bas), de procéder à l’identification de toutes les substances dangereuses, de limiter les opérations d’urbanisme autour des sites classés, et surtout de mettre en place un système de contrôle lui permettant de s’assurer que les industriels respectent leurs obligations en la matière.
Mais assez vite, dès le milieu des années 2000, la nécessité de procéder à une actualisation de la directive Seveso II commence à se faire jour.
Deux raisons essentiellement. Tout d’abord la publication, sous l’égide de l’ONU, d’un nouveau règlement international dit CLP (Classification, Labelling, Packaging en anglais) concernant la classification, l’étiquetage et l’emballage des substances chimiques et de leurs mélanges, qui est largement plus détaillé que le précédent. Un exemple parmi d’autres : alors que la directive Seveso II prévoit cinq classes de dangers physiques pour la population, le règlement CLP en prévoit 16. Ou encore le règlement CLP introduit une nouvelle classe de produits réputés nocifs pour la couche d’ozone qui ne figurait pas dans la directive Seveso II… Entré en vigueur progressivement au sein de l’Union européenne depuis le 20 janvier 2009, ce nouveau règlement devra être intégralement appliqué le 1er juin 2015. Autre événement important : la signature par 39 États du monde, le 25 juin 1998 à Aarhus au Danemark, d’une convention internationale qui renforce les droits d’accès du public à l’information relative aux problèmes environnementaux, favorise sa participation aux prises de décisions en la matière (sous la forme par exemple d’enquêtes publiques) et étend ses possibilités d’actions en justice…
Conséquence : au cours de l’été 2007, la Commission de Bruxelles décide d’ouvrir le chantier de la révision de la directive Seveso II. Consultations, auditions, négociations… : le 21 décembre 2010, elle présente un projet de directive nouvelle, présenté pour codécision au conseil des ministres en charge de l’Environnement et au Parlement européen. Après plus de 18 mois de discussions, ils aboutissent le 4 juillet 2012 à une directive Seveso III, publiée au Journal officiel de l’Union européenne le 24 juillet suivant.
Quelles modifications cette nouvelle directive introduit-elle par rapport à la directive Seveso II ? Avec la prise en compte du règlement CLP, elle modifie tout d’abord de manière significative le champ d’application du texte. En se fondant sur une nouvelle méthode de classification des substances dangereuses – c’est ainsi que sont apparus les mélanges auto-réactifs, les peroxydes organiques, les solides pyrophoriques ou les aérosols inflammables – et en créant de nouvelles catégories de dangers potentiels, la directive Seveso III permet tout d’abord d’identifier de manière plus précise les risques que peuvent présenter les usines chimiques pour la santé humaine et pour l’environnement. Conséquence : certaines substances voient leur seuil d’entrée dans la directive Seveso – seuil bas ou seuil haut – abaissé, tandis que d’autres le voient au contraire relevé.
C’est ainsi, par exemple, que trois nouvelles substances toxiques par voie cutanée devront désormais se soumettre aux exigences de Seveso III, alors que certains autres produits toxiques par ingestion vont en sortir. Entre les deux, des produits toxiques par ingestion ou par inhalation brouillard voient leur tonnage d’entrée dans Seveso seuil bas passer de 5 à 50 tonnes et dans Seveso seuil haut de 20 à 200 tonnes. D’autres, au contraire, sont abaissés. C’est le cas, par exemple, de l’hypochlorite de sodium, le composant de base de l’eau de Javel, dont les limites sont désormais fixées à 200 tonnes pour le seuil bas et à 500 tonnes pour le seuil haut. Autant de modifications, estime-t-on au ministère de l’Écologie, qui ne devraient pas modifier le nombre des entreprises soumises à la réglementation Seveso sur notre territoire. “D’après nos premiers pointages, affirme Cédric Bourillet, nous considérons que 15 % des établissements actuellement concernés par le système Seveso vont en sortir et qu’ils seront remplacés par un nombre comparable d’établissements nouveaux.”
Vers plus de transparence
Autre modification importante apportée par Seveso III : une série de dispositions qui garantissent au public un droit d’accès en ligne (complété par un document papier pour les établissements Seveso seuil haut) à des informations compréhensibles concernant les installations dangereuses. C’est ainsi que, sous réserve de certaines clauses de confidentialité justifiées, chaque citoyen européen habitant à proximité d’une installation Seveso devra disposer désormais d’un accès direct non seulement aux informations relatives à la dangerosité du site – activité de l’établissement, régime applicable, inventaire des substances dangereuses, personne à contacter, date de la dernière inspection… –, mais aussi à tout ce qui concerne les programmes de prévention des accidents ainsi que les mesures d’urgence prévues en cas d’accident.
“En intégrant enfin les exigences de la convention d’Aarhus, commente Michèle Rivasi, vice-présidente du groupe ALE(Alliance libre européenne)-Les Verts au Parlement européen et co-rapporteur de la directive, nous avons fait un grand pas en avant dans la transparence. Il s’agissait là en effet, selon nous, d’une condition sine qua non à la mise de en place de plans de gestion de crise efficaces autour des sites Seveso.” A noter que les citoyens devront également être consultés en cas de modification substantielle d’une installation, d’ajustement d’un plan d’urgence ou d’implantation d’un nouveau site, et qu’ils pourront ester en justice s’ils estiment que leurs droits n’ont pas été suffisamment pris en compte à cette occasion.
Des possibilités de dérogation
Enfin, troisième nouveauté importante de cette directive Seveso III, l’instauration d’un système de dérogations applicable à l’Union européenne tout entière. Destiné essentiellement à prévenir les difficultés que ne manquera pas de générer l’alignement du champ d’application de la directive sur le règlement CLP, mais aussi à anticiper d’éventuelles évolutions technologiques, il repose sur une procédure relativement stricte qui prévoit la possibilité pour un industriel ou un État membre de déposer un dossier de dérogation auprès des services de la Commission. Son contenu ? Toute information à caractère technique destinée à prouver que les risques liés à l’existence de tel ou tel produit, ou de tel ou tel mélange, sont finalement moins importants qu’on ne pourrait l’imaginer.
Exemple souvent cité : celui de l’hypochlorite de sodium, pour lequel les conséquences d’une fuite dans un dépôt contenant plusieurs milliers de bouteilles d’eau de Javel seraient certainement moins dévastatrices que celle qui pourrait se produire dans une installation disposant d’un gros réservoir de stockage. En tout état de cause, la dérogation ne pourra être accordée que sur la base d’une codécision de la Commission de Bruxelles et du Parlement européen. À noter qu’afin d’éviter une entrée dans le régime Seveso qui serait suivie d’une éventuelle sortie quelques mois plus tard, la directive Seveso III prévoit la possibilité pour Bruxelles d’accorder des dérogations dès avant sa date d’entrée en vigueur le 1er juin 2015. Elle suggère également aux États membres de regrouper leurs demandes par vagues. “Il est en effet certain, affirme Cédric Bourillet, que les demandes isolées auront moins de chances d’être entendues que celles qui passeront par l’intermédiaire d’une fédération professionnelle ou qui s’appuieront sur un organisme qualifié reconnu comme l’Ineris [Institut national de l’environnement industriel et des risques, ndlr].”
Une transposition en droit français dès 2013
Reste donc maintenant à transposer ce texte communautaire en droit français. En tant que bon élève en la matière au sein de l’Union européenne, la France est aujourd’hui bien décidée à aboutir dans des délais relativement rapides. Objectif visé : le milieu de l’année 2013. Telle est la raison pour laquelle, après la tenue d’une grande réunion de présentation de la directive communautaire et la rédaction d’un premier projet de texte de loi, les services du ministère de l’Écologie vont entreprendre une série de consultations qui devraient leur permettre de solliciter l’avis des fédérations professionnelles concernées. Au total, c’est une bonne cinquantaine de réunions qui se tiendront sur le sujet au cours des prochains mois. Principaux thèmes de discussion prévus : la répartition des nouvelles tâches d’information du public entre l’État et les industriels, l’organisation du contrôle des sites sensibles par les services territoriaux du ministère de l’Écologie, la définition précise de la notion d’incident majeur… “Comme un certain nombre de dispositions de la directive Seveso III figurent déjà dans la réglementation française, assure Cédric Bourillet, nous ne devrions guère rencontrer de difficultés majeures dans la mise au point du texte définitif.”
Ce qui signifie que les entreprises françaises concernées disposeront alors d’un délai de l’ordre de deux ans pour se mettre en conformité avec les exigences de la directive Seveso III. Étant entendu qu’elles n’en seront pas quittes pour autant. En effet, la directive Seveso III contient une notion d’amélioration permanente de la politique de prévention des accidents majeurs qui oblige les industriels – seuil haut ou bas – à actualiser leurs plans tous les cinq ans en tenant compte notamment de l’aggravation des risques que pourrait générer le vieillissement de leurs installations.