On constate, sur la petite centaine de débats menés en dix-huit ans sous l'égide de la Commission nationale du débat public (CNDP), que nombre de ces concertations ont fait évoluer les projets initiaux, parfois jusqu'à l'abandon. C'est à porter au crédit des règles appliquées pour animer la controverse et prendre en considération tous les points de vue échangés.
Mais, dans d'autres cas, le débat s'avère être un coup d'épée dans l'eau, pis, une opération de promotion d'une décision en partie déjà prise.
Les difficultés naissent d'une concertation qui n'intervient ni au bon niveau ni à la maturité du processus de décision.
Ainsi le débat public sur l'EPR de Flamanville était-il par avance dénaturé par l'inauthenticité du débat national prescrit par le gouvernement, comme par l'absence des responsabilités parlementaires sur la place du nucléaire dans la politique énergétique. Un autre débat, sur la ligne électrique THT entre Boutre et Carros, jugé exemplaire du savoir-faire de la CNDP, a dû être passé par pertes et profits pour n'avoir pas entraîné de décision pendant plusieurs années.
L'exemple plus récent de Notre-Dame-des-Landes illustre la dissociation fort pénalisante entre démarche de concertation et prise de décision. Après un débat complet, le fait de ne pas s'engager et de ne pas passer à l'acte ou bien de dire que l'on renonce, comme l'exige la loi régissant le débat public, renvoie la concertation au magasin des accessoires d'une mauvaise communication et ouvre un champ libre à une contestation nouvelle, d'une nature différente de celle exprimée au cours du débat.
Marquée par une histoire institutionnelle de verticalités hiérarchiques, peu à l'oeuvre dans des pays de structure fédérale ou de pragmatisme relationnel, la faible culture française du dialogue social est un handicap pour l'appropriation collective des décisions. Les pays nordiques adoptent les préparations de décision d'un panel réduit de citoyens. Le Bureau des auditions publiques sur l'environnement québécois amorce des négociations en vue d'une décision. En revanche, la CNDP, pour affirmer son indépendance dans la conduite du débat public, a toujours revendiqué de ne pas intervenir sur le fond d'un dossier.
Face à la frilosité de nos élus et gouvernants, ne faut-il pas que le Parlement et les assemblées territoriales deviennent commanditaires de débats publics, à l'instar des exécutifs ? Ne faut-il pas aussi donner à la CNDP un pouvoir de rappel à l'ordre sur les suites d'un débat qu'elle aurait accepté de mener ? Doit-elle s'enhardir et mettre plus le pied du décideur à l'étrier ?
Il convient de clarifier et de garantir l'enchaînement des figures intermédiaires de la décision publique : information-communication-consultation-concertation-médiation-négociation-délibération.
La défiance prospère. Le lien social s'atrophie. Il devient urgent pour la démocratie représentative d'être plus participative dans l'exercice du pouvoir.